PREVOSTI,M., COLL, R. UN BALNEUM DU Ve SIÈCLE DANS LE BÂTIMENT DE CAN FERRERONS (BARCELONE), SRWRP, 10, GIRONA, 2017, 69-80. Un balneum du Ve siècle dans le bâtiment octogonal de Can Ferrerons (Barcelone) Marta Prevosti (Institut Català d’Arqueologia Clàssica) Ramon Coll (Museu Romà de Premià de Mar) RÉSUMÉ Le balneum du Ve siècle qui est inclus dans le bâtiment octogonal de Can Ferrerons, est de petites dimensions et a un plan linéaire angulaire. Il comprend un apodyterium, un frigidarium pourvu d’une piscine presque triangulaire, un tepidarium, un caldarium avec un alveus et un propigneum. Deux phases chronologiques ont été documentées : la première avec un alveus du caldarium pentagonal, dans lequel, lors d’une seconde phase, se trouve un alveus semi-circulaire. Selon nous, ses petites dimensions, comme le manque d’éléments décoratifs de luxe, le situent bien dans l’évolution des villas des provinces d’Hispaniae. Toutefois, il contraste avec d’autres provinces, comme l’Aquitania, où il y a encore au Ve siècle un développement important de villas aristocratiques. Dans le panorama hispanique, Can Ferrerons s’avère significatif, montrant bien en effet la capacité que l’hinterland de Barcino conserve a au Ve Vsiècle de construire des bâtiments de réception, très probablement pour le convivium. MOTS-CLÉS : Balneum, Can Ferrerons, Barcino, Hispaniae. RESUM El balneum del segle V inclòs dins de l’edifici octogonal de Can Ferrerons és de petites dimensions i de desenvolupament lineal angular. Consta d’apodyterium, frigidarium amb piscina gairebé triangular, tepidarium, caldarium amb alveus i propigneum. S’hi documenten dues fases cronològiques, la primera amb un alveus del caldarium pentagonal, dins del qual, en una segona fase, s’inscriu un alveus semicircular. Pensem que les seves petites dimensions, així com la manca d’elements decoratius de luxe, s’inscriu bé dins de l’evolució de les vil·les de les províncies d’Hispaniae. Contrasta en canvi amb altres províncies, com Aquitània, on al segle V encara hi ha un desenvolupament important de vil·les aristocràtiques. Dins del panorama hispànic, Can Ferrerons resulta significatiu de la capacitat que conserva al segle V el hinterland de Barcino de construir edificis de recepció, molt possiblement per al convivium. Paraules clau: Balneum, Can Ferrerons, Barcino, Hispaniae. 70 Marta Prevosti, Ramon Coll I ntroduction Gran Via–Can Ferrerons est un grand site de cinq hectares et demi situé entre la mer et la Via Augusta (fig. 1). Les premières informations concernant des restes archéologiques datent de 1969, lorsque l’on découvrit une grande salle recouverte d’une mosaïque aux motifs géométriques polychromes réalisée en deux phases, la première à l’époque des Sévères et la suivante ajoutée au IVe ou au Ve siècle après J.-C. (Prevosti 1981, 128-132). Il est aussi fait mention d’une deuxième mosaïque contigüe à celle que l’on vient de décrire, avec un Amour chevauchant un dauphin. On a trouvé également divers secteurs industriels, parmi lesquels un édifice doté d’un portique appartenant aux zones de travail d’une poterie du Ier siècle avant J.-C. au Ier siècle après J.-C. qui produisait des amphores à vin, un four métallurgique et cinq réservoirs que l’on a interprété comme appartenant peut-être à une industrie de salaison inutilisée en dessous de la mosaïque de l’époque des Sévères. (Prevosti/Coll/Bagà 2015 ; Coll/Prevosti/Bagà, à paraitre). Dans la zone nord du site, l’excavation qui a eu lieu entre 2000 et 2008 a dévoilé un édifice octogonal dont les murs étaient conservés jusqu’à 3 m de hauteur (fig. 2). Il s’agit d’un pavillon séparé, détaché de toute autre construction sur les côtés qui ont été excavés. Il reste deux côtés de l’édifice à excaver où l’on pourrait trouver la connexion du pavillon avec le reste de la villa. Cet édifice octogonal recouvre une surface d’environ 710 m2. Ce bâtiment est clairement le fruit d’un projet architectural élaboré préalablement, exécuté depuis les fondations en une seule phase de construction. La distribution interne de l’édifice tourne autour d’une salle octogonale centrale de 14 m de diamètre maximum et d’une surface d’environ 148 m2. Depuis cette salle, on accède à quatre grandes pièces d’environ 40  2 m de forme quadrangulaire sur les côtés Nord-Ouest, Nord-Est, Sud-Est et Sud-Ouest. Les quatre autres côtés, c’est-à-dire Nord, Est, Sud et Ouest, s’ouvrent sur une sous-division de petits espaces, et suivent dans tous les cas un modèle symétrique. On obtient ainsi de nombreuses salles de forme trapézoïdale qui donnent à l’édifice une complexité singulière, clairement planifiée au préalable, et d’où ressort d’avantage l’aspect géométrique que l’aspect fonctionnel. Le plan a probablement été dessiné sur la base d’un cercle. Ainsi, l’octogone de la salle centrale s’inscrit à l’intérieur d’un cercle d’environ 14,8  de diamètre, c’est-à-dire 50  m pieds romains. La partie extérieure de l’édifice a été établie à partir d’un cercle de 100 pieds de diamètre (29,6 m), ce qui donne un rapport de 1 à 2 entre le rayon interne et le rayon externe de l’édifice. Il faut souligner que les murs radiaux qui compartimentent l’espace qui se trouve entre les deux cercles sont distribués à 45º, ce qui confirme l’hypothèse d’un parti architectural basé sur le cercle (Puche et al. 2014). L’ensemble a été réalisé par coffrage à l’aide de blocs de granit de tailles diverses avec du mortier de chaux comme matériau d’union. La largeur des murs est d’environ 45 cm, c’est-à-dire 1,5 pied. La hauteur considérable et la robustesse des murs, ainsi que l’absence complète de drainage à l’intérieur de l’édifice indiquent que les murs de l’octogone interne supportaient une toiture (Coll/Prevosti 2016). Le balneum Dans le secteur occidental, suivant les préceptes vitruviens, de petits bains privés ont été insérés (fig. 3). Ils occupent un espace de 97,5 m2, avec des salles trapézoïdales adaptées à la structure capricieuse de l’octogone. Ils sont de type linéaire angulaire et l’itinéraire est rétrograde. Ils se composent de Un balneum du Ve siècle dans le bâtiment octogonal de Can Ferrerons (Barcelone) quatre salles thermales : apodyterium, frigidarium avec piscine, tepidarium et caldarium avec alveus. Il y a également un propigneum à l’extérieur de l’octogone depuis lequel était alimenté le praefurnium de l’hypocaustum.1 L’itinéraire est très clair. Depuis la grande salle octogonale centrale de l’édifice, on accédait à l’apodyterium (7). Dans cette salle, le sol était pavé de cocciopesto et dans les strates de destruction, nous avons trouvé des restes des peintures pariétales qui la décoraient. Lors de l’utilisation postérieure 71 Figure 1. Plan de localisation du site. 72 Figure 2. Vue aérienne du site. Photo Actium. Figure 3. Plan de Can Ferrerons avec les bains. Marta Prevosti, Ramon Coll Un balneum du Ve siècle dans le bâtiment octogonal de Can Ferrerons (Barcelone) 73 de l’édifice, un pressoir a été placé dans la salle contigüe au frigidarium. Son contrepoids était ancré dans le sol de l’apodyterium, ce qui a provoqué l’apparition d’un trou important dans son pavement. De ce vestibule, on passait ensuite au frigidarium (4) (fig.4), lui aussi de forme irrégulière et pavé de cocciopesto. De cette salle, on accédait à la piscine d’eau froide (5), au périmètre très irrégulier et recouverte de cocciopesto hydraulique. Dans une deuxième phase, le frigidarium a été transformé en pressoir à vin. C’est pourquoi un second pavement de cocciopesto a été installé au-dessus de celui d’origine, sur lequel est dessiné la circonférence de l’area et où s’ouvrent les pedicines pour les arbores, et qui incline le sol en direction de la piscine, pour que le moût de raisin puisse passer par un trou percé dans sa paroi. La piscine s’est donc convertie en lacus vinarium. Figure 4. Le frigidarium. Photo Actium. Entre le frigidarium et le tepidarium s’ouvre une porte très bien conservée de 80 cm de large où l’on trouve encore le trou où était insérée la serrure, à 1,05 m de hauteur (fig. 5). Dans le tepidarium (3) (fig. 6) les 24 pilae de briques bessales (20 x 20 cm) qui reposent sur un sol de cocciopesto sont encore en très bon état. La suspensura de briques sesquipedales et de cocciopesto allait jusqu’à 1,35 m de hauteur et a été trouvée écroulée. Entre cette salle et la suivante s’ouvre une autre porte de 80 cm de large, en position contraire par rapport à la porte antérieure (en zigzag) pour conserver au mieux la chaleur. La porte est construite sur les trois voûtes souterraines qui laissaient passer l’air chaud provenant du caldarium et du praefurnium. Ces trois voûtes étaient orientées vers le praefurnium pour faciliter la circulation dans le sens du courant, ce qui constitue une singularité (fig. 7). Le caldarium (2) (fig. 8), comme le tepidarium, a une forme rectangulaire dont un des côtés s’ouvre sur un triangle où s’inscrit un alveus (1) (fig. 9). Dans un premier temps, un alveus hexagonal irrégulier avait été construit sur la suspensura, avec une marche à l’entrée, recouvert de cocciopesto hydraulique. Ensuite, une modification a été effectuée : son espace a été réduit et une piscine en forme de demi-cercle a été insérée à l’intérieur de la piscine hexagonale antérieure. D’après les auteurs de la restauration et 1. Ces bains ont été étudiés par Virginia García-Entero (2005) dès les premiers moments de leur excavation, c’est-à-dire que l’on ne connaissait pas encore la date de leur construction et l’étude du contexte du site n’avait pas encore été effectuée. 74 Marta Prevosti, Ramon Coll Figure 6. Le tepidarium. Photo Actium. Figure 7. Les trois voûtes souterraines entre les caldarium et le tepidarium. Photo Actium. Figure 5. Porte entre le frigidarium et le tepidarium. Photo Ramon Coll. de l’étude des parements du site (Choren/Parra/Salvadó 2016), le second alveus a dû être construit quand l’hypocauste est tombé en désuétude. En effet, un espace plus petit où la chaleur est plus facile à conserver a dû sembler plus souhaitable. La stratigraphie indique que le praefurnium était utilisé. Dans le plus gros des cendres qui ont été excavées, nous avons trouvé du matériau datant du Ve siècle. Nous ne pourrons pas donner une chronologie plus précise tant que nous n’aurons pas réalisé l’étude détaillée des matériaux. L’hypocaustum du caldarium est similaire à celui de la pièce antérieure. Bien qu’il ait été retrouvé en plus mauvais état, nous avons pu vérifier qu’il possédait également 24  pilae qui reposaient sur un cocciopesto et qui supportaient une suspensura semblable à la précédente, elle aussi d’une hauteur comprise entre 1,35 et 1,40 m. L’alveus, magnifiquement conservé, se chauffait grâce à l’air du praefurnium. Pour cela, il disposait de dix pilae en bessales qui reposaient sur la base d’une area en cocciopesto et qui soutenaient les sesquipedales et le cocciopesto de la suspensura. Il était connecté au caldarium par deux petites voûtes. L’alveus à proprement parler était recouvert de cocciopesto hydraulique et possédait une marche intérieure pour faciliter l’entrée et pour servir de siège dans le bain. Une cheminée courrait des deux côtés pour chauffer les murs et évacuer les fumées. Dans les strates d’écroulement de la suspensura du caldarium et du tepidarium, plusieurs tubuli ont été retrouvés, preuve que ses murs étaient chauffés. 75 Un balneum du Ve siècle dans le bâtiment octogonal de Can Ferrerons (Barcelone) Figure 8. Le caldarium. Photo Actium. Figure 9. Le alveus. Photo Abans Serveis Culturals. Figure 10. Le propigneum. Photo Actium. À l’extérieur de l’édifice octogonal et à un niveau inférieur, on trouve un propigneum (23) (fig. 10) d’environ 25 m2, avec le praefurnium ouvert vers le caldarium par le biais d’une voûte. À la bouche du praefurnium il y a deux murets. Nous supposons qu’ils ont maintenu une chaudière pour l’eau chaude. 76 Figure 11. Ensemble épiscopal de Barcelone dans le V siècle selon Julia Beltrán de Heredia (2013). Marta Prevosti, Ramon Coll Chronologie D’après le mémoire des excavations de Josep Font (2013), les strates les plus anciennes situées dans les bains, ainsi que dans le reste de l’édifice octogonal, correspondent à des niveaux de destruction de la première moitié du Ve siècle. La strate de remplissage des hypocaustes était de destruction et contenait des centaines de tegulae et de briques, des dizaines de tubuli, un grand nombre de clous en fer et de la céramique. La date a été fixée à partir de deux vases entiers DSP de forme Rigoir 18 (370 – 500 après J.-C.) et de forme Rigoir 23 (400 – 500 après J.-C.). Il s’agit donc clairement d’un contexte du Ve siècle qui indique la destruction du système de chauffage des bains. Mais les niveaux de construction n’ont pas pu être datés, car les remblais de fondation de l’édifice sont apparus sans aucun reste de matériau. C’est pourquoi nous avons décidé de tenter la datation absolue avec l’analyse de trois échantillons de mortier pris sur la partie inférieure des murs du tepidarium. Nous l’avons confiée à l’équipe de l’Åbo Akademi University (Finlande) et à celle de l’Aarhus University AMS 14C Dating Centre (Danemark). Le résultat n’a pas été équivoque, avec un niveau de confiance de 95,4 % et une datation comprise entre 420 et 540 après J.C. (Prevosti et al. 2016). Étant donné que les strates de destruction sont datées du Ve siècle, nous devons penser que la construction doit être située antérieurement, et donc à partir de 420 et avant la fin du siècle. Les détails de la technique de construction de l’édifice le situent également à la fin du IVe siècle, au Ve siècle ou au VIe siècle. Les comparaisons faites avec les édifices barcelonais du palais épiscopal et du palais du comes, du castrum de Sant Cugat del Vallès ou du château de Sant Julià de Ramis sont pertinentes. Un balneum du Ve siècle dans le bâtiment octogonal de Can Ferrerons (Barcelone) Interprétation Les bains de Can Ferrerons constituent un ensemble classique et simple de l’architecture romaine, très bien conservés et faciles à interpréter, sans problème particulier. Par contre, l’interprétation de l’ensemble qui se trouve à l’intérieur de l’édifice octogonal est beaucoup plus complexe. Dans un milieu rural, un édifice de forme octogonale, construit au Ve siècle, avec trois grandes salles de réception et des bains... voilà un défi d’interprétation assez singulier. Pourquoi a-t-il été construit  Qui l’utilisait  Qui a ? ? construit cet édifice, dans quel contexte et dans quel but ? Nous avons ici une construction aux murs puissants, à la beauté recherchée dans ses formes géométriques, bien planifiée, sur la base du pied romain, réalisée en une seule fois suivant un projet architectural très bien étudié et suivant les tendances de la construction des aristocrates de l’époque : ceci doit vouloir dire qu’il s’agissait d’un bâtiment de prestige construit par un personnage important de l’élite barcelonaise. Le manque de revêtement sur les murs et de pavement décoratif au sol laisse à penser que l’édifice n’a pas été terminé. Une autre possibilité serait que lors de sa réutilisation comme zone rustique, il en a été complètement dépouillé. Mais si tel était le cas, il semble qu’il devrait bien y avoir, quelque part dans un coin, quelque vestige du revêtement de sol ou du revêtement mural, si petit qu’il puisse être. Son absence totale laisse sérieusement à penser qu’il n’a jamais été réalisé. Par contre, dans la zone des bains, on a trouvé des fragments du couchage des murs décorés à la peinture. Le revêtement de sol des salles, par contre, était en cocciopesto, sans aucune trace de mosaïque. La zone du praefurnium possédait également des restes de cendres, ce qui indique qu’il a été utilisé. De plus, les bains présentent deux phases d’utilisation. Comme nous l’avons expliqué dans la description, l’alveus du caldarium indique une première phase en forme d’hexagone irrégulier et une seconde phase en forme de demi-cercle inséré à l’intérieur de l’hexagone. Ainsi donc, tout semble indiquer que dans l’édifice octogonal complet, seuls les bains furent utilisés conformément à l’objectif d’origine pour lequel ils avaient été construits, tandis que le reste de la construction n’a pas été terminé et a été réutilisé comme zone rustique. 77 Figure 12. Bains du palais épiscopal. Photo Arxiu MUHBA (Fons Antic) 1953. 78 2. Comme le cite C. Balmelle (2001, 178), Sidoine Apollinaire et Venance Fortunat font référence aux bains qui se trouvaient dans les riches villas de l’époque. 3. Dans le tableau de la fig. 78, les dimensions varient entre 760 m2 à Chiragan et 60 m2 à Saint-Loup-deComminges, mais un grand nombre de ces bains ne sont pas datés avec précision et nous ne savons pas s’ils ont été construits au IVe ou au Ve siècle. Ceux de Seviac, à Montréal, qui occupent un espace de 520 m2, ceux de Nérac, avec 570 m2 et ceux de Jurançon-Pont d’Oly, avec 280 m2 sont clairement datés du Ve siècle. Ceux de Sordel’Abbaye datent du VIeVIIe siècle et occupent 100 m2. Figure 13. Plan de Centcelles selon Puche et López (2016). Marta Prevosti, Ramon Coll Les dimensions des bains, de 97,5 m2, s’avèrent petites pour un édifice de la classe que nous attribuons au pavillon octogonal de Can Ferrerons. Par contre, si nous pensons que sa construction s’est effectuée au Ve siècle, les dimensions sont alors plus faciles à comprendre. Pour comparer des édifices domestiques somptueux de la région, il nous faut d’abord nous reporter aux possibles bains du palais épiscopal du Ve siècle de Barcelone (fig. 11), identifiés par Julia Beltrán de Heredia (2013, fig. 14). Ces vestiges sont très détériorés et l’espace occupé est assez incertain, mais malgré cela, nous pouvons supposer qu’ils occupaient une surface de 12 m de large, avec une profondeur de 5 m, voire un peu plus (fig. 12). Comme second exemple de petits bains du Ve siècle construits dans le contexte d’une villa noble, il y a celui de Centcelles. Comme le commentent J. M. Puche et J. López (2016, 142), des seconds bains ont été construits postérieurement à la construction des grandes salles centrales avec la coupole en mosaïques, moment où il est possible que les premiers bains aient été réutilisés comme espace de vie (fig. 13 : 22 au 26 ; le propigneum sans numéroter). Nous savons que ces deuxièmes bains datent du Ve siècle grâce à l’identification effectuée par J.A. Remolà et M. Pérez (2015) dans le revêtement de sol en cocciopesto de l’apodyterium/frigidarium (chambre 24), d’un fragment in situ de TSA D ayant la forme Hayes 91A/B, ce qui nous situe chronologiquement au Ve siècle. Ces bains occupent une surface d’environ 170 m2, c’est-à-dire que leur taille est supérieure à celle de Can Ferrerons. Par contre, ceux du palais épiscopal de Barcelone occupaient environ 60  2 ou un peu m plus. Cette comparaison situe Can Ferrerons à un niveau moyen pour son époque, dans la région dans laquelle elle se trouve. Nous tenterons de comparer les bains avec ceux d’autres riches villas du Ve siècle dans les régions voisines des Gaules2 ou des Hispaniae. Parmi les bains des villas aristocratiques d’Aquitaine décrites par C. Balmelle (2001, 178-201)3, les dimensions et la richesse sont considérables. L’auteur (Balmelle, 2001, 112) croit que les bains « datés de la fin de l’Antiquité sont multiples et le dernier état architectural se caractérise généralement par la mise en place de salles au plan complexe, de taille supérieure aux précédentes. ». Elle considère que les villas aristocratiques continuent à être utilisées pendant l’ensemble du Ve siècle et même sûrement pendant le VIe siècle, bien qu’à ce dernier stade, certains bains avaient déjà perdu leur fonction thermale (Balmelle, 2001, 119). Dans les provinces des Hispaniae, la situation est très différente. V. García Entero (2005, 741), au Ve et au VIe siècle, connaît uniquement la construction ex novo des deux installations de bains domestiques, une dans le palais ou la résidence extra-urbaine des VIe-VIIe siècles de la rue Nerja de Mérida (BA.EA.UD.21) et une autre possible dans le palais épiscopal du VIe siècle de Barcelone (BAR.BCN.UD.4). Ces deux constructions sont incomplètes et ne peuvent donc pas illustrer les dimensions, bien qu’elles ne semblent pas être Un balneum du Ve siècle dans le bâtiment octogonal de Can Ferrerons (Barcelone) grandes et n’étaient pas non plus décorées de mosaïques. L’auteur conclut que les balnea domestiques en Hispania, sauf dans des cas exceptionnels, ont décliné tout au long du Ve siècle, particulièrement pendant la deuxième partie de ce siècle. De tout cela on peut déduire que les bains de Can Ferrerons s’intègrent bien à la tendance architecturale du Ve siècle, bien que très peu d’entre eux aient été construits à cette époque dans les provinces des Hispaniae. Mais, quelle était leur fonction dans le pavillon où ils se trouvaient ? Il faut supposer que l’édifice octogonal de Can Ferrerons était un pavillon de réception à l’intérieur d’une grande villa romaine tardive dont le propriétaire était d’une importance singulière. Étant dans l’impossibilité de préciser à quel moment du Ve siècle il a été construit, nous ne pouvons pas non plus spéculer sur le personnage. Il répond au type architectural à plan centré qui était très commun aux IVe, Ve et VIe siècles. Durant cette période, les édifices à plan centré s’appliquaient à des édifices publics, religieux, funéraires et on les trouvait aussi fréquemment dans l’architecture domestique. Nous savons que ces grandes salles des résidences seigneuriales pouvaient être polyvalentes. De plus, un édifice tel que celui qui nous intéresse a pu avoir plusieurs fonctions. Nous pensons qu’il est possible qu’il ait été un bâtiment de réception appartenant au propriétaire de la villa. Mais nous ne savons pas à quels types d’événements il pouvait être destiné, ni quelle était la fonction précise de chaque salle. Les trois grandes salles de Can Ferrerons étaient peut-être des triclinia, destinées au banquet du propriétaire avec d’autres personnages de son rang, après avoir pris le bain. Mais il est certain qu’elles pouvaient aussi être utilisées pour d’autres types d’audiences. Il est possible que les petites pièces entre les salles aient été conçues de la même manière que les petites salles qui entourent habituellement les triclinia, et étaient destinées aux petites réunions pour s’éloigner du brouhaha de la grande salle-à-manger. Certaines de ces salles devaient aussi être destinées au support pour le service. Ainsi donc, le balneum de Can Ferrerons doit être vu comme faisant partie d’un équipement unique, une suite ou un appartement destiné à la réception du propriétaire, pour s’adonner à l’otium, au banquet après le bain et peut-être aussi à d’autres réunions de haut niveau. La finalité précise de cet édifice est difficile à déterminer. Il serait plus facile de se rapprocher de la solution si on pouvait connaître l’environnement de l’édifice et le site complet. Mais sans aucun doute, le plus intéressant de cet ensemble est sa chronologie, en plein Ve siècle, qui démontre que dans l’arrière-pays de Barcino, il existait toujours la capacité de construire des édifices de réception conçus selon la mode de la plus haute aristocratie de l’époque. Bibliographie -BALMELLE, C. 2001, Les demeures aristocratiques d’Aquitaine. 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Lucie Chabal (CNRS – Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM, UMR 5554), CNRS, IRD, CIRAD, Université de Montpellier, Place Eugène Bataillon, 34095 Montpellier cedex 05, France) Isabel Figueiral (Inrap – Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM, UMR 5554), CNRS, IRD, CIRAD, Université de Montpellier, Place Eugène Bataillon, 34095 Montpellier cedex 05, France) Christophe Pellecuer (MCC – Archéologie des Sociétés Méditerranéennes (ASM, UMR 5140), CNRS, MCC, Université Paul-Valéry Montpellier 3 – LabEx ARCHIMEDE programme ANR-11-LABX-0032-01, site SaintCharles, Route de Mende 34199 Montpellier cedex 05, France) RÉSUMÉ Les différents états de la uilla des Prés-Bas, à Loupian (Hérault, France), permettent d’étudier l’évolution des équipements de chauffage des appartements résidentiels, depuis le Haut-Empire jusqu’au début du Ve siècle. Chacun de ces aménagements, présentant des solutions techniques distinctes, est révélateur tout à la fois du choix des propriétaires successifs et des modes qui ont dû influencer au cours du temps les élites locales. Pour le IVe siècle, on dispose des vestiges des dernières flambées dans les praefurnia et les conduits de chauffe de la résidence de cette époque. L’étude des charbons de bois permet de préciser comment le combustible était utilisé, quelles espèces étaient choisies en fonction des possibilités offertes par les boisements présents dans l’environnement de la uilla. On peut s’interroger, à partir d’un tel dossier, sur la recherche du confort dans la pars urbana, favorisant de plus longs séjours pour le maître du domaine, et considérer que le chauffage est, au même titre que les bains, un témoin significatif du niveau de luxe des appartements. MOTS-CLÉS : Narbonnaise, équipement de chauffage, appartements résidentiels, anthracologie. ABSTRACT The different phases of the uilla des Près-Bas, at Loupian (Hérault, France), illustrate the evolution of the heating equipment in the residential areas of this uilla, from the height of the Roman Empire to the beginning of the 5th century. Each of these developments, presenting distinct technical solutions, provide informations on the choices made by the successive owners and on the evolution of the prevailing tastes of the local elites. For the fourth century, we have found the remains of the last fire in the praefurnia and the heating ducts of the residence. The study of the charcoal fragments made it possible to specify how the fuel was used, which species were chosen chosen and which woodland areas were exploited. This raises questions about the quest for comfort in the pars urbana, which would allow the master of the domain to stay for longer periods; this leads us to consider that having a heating system, like having a Roman bath, is a clear sign of the level of the luxury of the dwelling and of the wealth of its owner.  Keywords : Narbonnaise, Heating equipment, residential areas, charcoal analysis 82 Lucie Chabal, Isabelle Figueiral, Christophe Pellecuer L a uilla des Prés-Bas à Loupian, sur la rive orientale de l’étang littoral de Thau, placée aux limites des cités antiques de Béziers et de Nîmes, est l’un des établissements ruraux de ce rang les mieux connus de la Narbonnaise occidentale (fig. 1). L’étude intensive de ce site, tant sur le terrain qu’à partir des réflexions toujours vivaces que suscitent les résultats de la fouille, en fait un repère essentiel pour l’approche du fait domanial dans la durée, entre la période tardo-républicaine et la fin de l’Antiquité. Entre le milieu du Ier siècle av. J.-C. et le VIe siècle ap. J.-C., son histoire peut être résumée en trois principales périodes d’investissement  depuis la : ferme des origines qui permet le regroupement des forces de travail et la construction de l’espace domanial; la uilla productive qui conjugue l’affirmation architecturale des appartements de villégiature et une implication forte dans la viticulture ; après une longue période d’atonie qui aurait pu préluder à une disparition de l’établissement, une reprise des investissements, qui contre toute attente favorise un développement de la fonction résidentielle de la uilla, d’un éclat sans précédent, avant d’ultimes transformations qui conduiront à un abandon définitif (Pellecuer 2000). Cette succession des chantiers de construction, avec la rénovation des bâtiments domaniaux et plus particulièrement des appartements résidentiels, offre des informations précieuses sur les modes de chauffage, révélés par la fouille. Leur évolution est dépendante des choix des différents propriétaires soucieux d’une mise au goût du jour du confort de la uilla, que l’on pourra percevoir à partir des installations en usage pour chaque période dans les appartements, voire des traces pouvant suggérer certains dispositifs plus fugaces. On peut s’interroger sur l’efficacité thermique de ces différents équipements, leur utilisation régulière ou bien occasionnelle, mais aussi sur la taille des espaces chauffés. Si nous pouvons présenter différents équipements révélateurs de la façon de vivre dans la résidence, entre la fin du Ier siècle ap. J.-C. et le Ve siècle, nous ne disposons pas pour chacun d’entre eux des charbons de bois qui permettraient de déterminer les essences utilisées. Ces lacunes sont dues aux fouilles anciennes qui ont certes permis d’attirer l’attention sur ces aménagements, mais au cours desquelles aucun prélèvement n’a été envisagé. Seule l’une des périodes bénéficie d’une approche à peu près complète, présentant le dispositif de chauffage et le combustible utilisé, que l’on détaillera dans la suite de cette contribution. A partir des modes de chauffage observés, on tentera de mettre en valeur d’une part des permanences de pratiques et, d’autre part, l’adoption d’innovations ou de procédés en vogue à une époque donnée. Ces derniers choix nous renseignent sur le niveau du luxe de la résidence et sur les investissements consentis pour la construction ou la rénovation des appartements. Les données anthracologiques apporteront quant à elles des informations sur les ressources offertes par l’espace domanial, comme sur la sélection et l’utilisation du bois de chauffe à l’intérieur de la uilla. 1. Les appartements du Haut-Empire  un procédé de chauffage : original La résidence du Haut-Empire, qui est composée de deux ailes perpendiculaires (fig. 2), devait être chauffée autant que de besoin et, comme la plupart des résidences rurales et urbaines, grâce à l’usage de braseros. La mauvaise conservation des pavements, pour la période considérée, ne permet pas de retrouver les traces laissées par un tel usage. Cependant, elle présente dans sa partie la plus calfeutrée, la moins ouverte sur la cour à péristyle, sorte de pars hiberna, un système original de chauffage par convection indirecte (fig. 3). On doit à A. Bouet (1997) l’identification de ce calorifère. En effet, Pratiques de chauffage et bois de feu dans la uilla des Prés-Bas à Loupian (Hérault, France) 83 malgré les dégradations causées par les reconstructions postérieures, la base d’une suspensura d’hypocauste a bien été identifiée, comme un équipement distinct du balnéaire alto-impérial, celui-ci étant localisé à une dizaine de mètres plus au sud. La pièce technique, d’environ cinq mètres carrés, a conservé une partie du dispositif de pilettes —trois bessales qui sont alignées sur un sol de béton de tuileau —, mais on hésite sur l’emplacement de la fournaise du fait des destructions postérieures, peutêtre sur le côté nord-ouest. Le personnel affecté au travail d’alimentation des foyers des bains pouvait être chargé, vu la proximité de l’équipement, de la chauffe de cette installation. A. Bouet identifie cet ingénieux système de chauffage par convection indirecte à partir d’une lettre de Pline le Jeune (Correspondance, II, 17) Figure 1. La uilla de Loupian sur la rive nordest de l’étang de Thau (Hérault). 84 Lucie Chabal, Isabelle Figueiral, Christophe Pellecuer décrivant les agréments de sa uilla des Laurentes, dans la région d’Ostie. Adjacente à une chambre, est décrite « une toute petite pièce de chauffage — hypocauston perexiguum — ayant une bouche étroite — angusta fenestra — par laquelle la chaleur venue d’en bas est réglée, tantôt déversée, tantôt retenue  donc un dispositif différent de l’hypocauste traditionnel qui », communiquerait avec le cubiculum par des ouvertures réglables. Après discussion des solutions techniques induites par le texte, ce chercheur en propose une restitution pour les vestiges d’un tel dispositif reconnus dans la uilla du Griffon à Vitrolles (Bouches-du-Rhône) (fig. 4) (Bouet 1997, 118-119). C’est donc aussi ce même système de l’angusta fenestra qui est utilisé à Loupian pour les appartements résidentiels. Depuis la publication de 1997, l’analyse architecturale plus fine de cette construction nous incite à ne pas suivre la restitution initiale qui envisageait une utilisation de ce calorifère sophistiqué pour deux, voire trois pièces de la résidence (ibid., 123). Son efficacité se limiterait en fait au chauffage d’une salle d’une vingtaine de mètres carrés, une chambre peut-être, au sol de terrazzo décoré et d’un confort certain. Figure 2. La uilla du Haut-Empire et la localisation du chauffage par convection. A, cour secondaire, logements des dépendants ; B, aile occidentale de la résidence ; C, bains. 2. La reprise de la résidence au IVe siècle : chauffer tout un corps de bâtiment 2.1. Les installations Dans la deuxième moitié du IVe siècle, après une longue période d’atonie des investissements, la vieille résidence fait l’objet d’un chantier de rénovation. L’ampleur des travaux est la plus manifeste dans l’aile occidentale où la division intérieure est modifiée, avec la création de six pièces et la suppression des couloirs de circulation antérieurs (fig. 5). On ne sait rien de précis sur la décoration pariétale des nouvelles salles et leurs sols, quand ils sont conservés, ne sont que des chapes lisses, non décorées. Le signe de luxe le plus patent va être ici la généralisation d’un système de chauffage par canaux (fig. 6). Pratiques de chauffage et bois de feu dans la uilla des Prés-Bas à Loupian (Hérault, France) 85 Figure 3. Le calorifère par convection et la salle chauffée. Figure 4. Proposition de restitution du système de chauffage par convection de la uilla du Griffon à Vitrolles (Bouches-du-Rhône) (Bouet 1997, fig. 3, 119). La salle principale d’environ 40 m2 est dotée d’une croisée de deux canaux ; les deux séries de chambres symétriques, d’une quinzaine de mètres carrés, d’un canal se ramifiant en quatre conduits secondaires ; enfin, une salle d’environ 30 m2 est munie d’un conduit unique. En façade, les bouches des canaux sont regroupées par deux et une est isolée. Les trois fournaises devaient être toutes placées sous appentis. Si le programme paraît ambitieux, sa mise en œuvre reste sommaire, avec des conduits construits en tranchée et dont seules les parois sont parementées sur quelques assises. Des briques ou des tuiles sont utilisées comme couvertures. Avec le temps, ou après des essais, certains conduits sont repris et des branches condamnées, ce qui laisse quelques doutes sur l’efficacité de ce dispositif. 2.2. Distribution spatiale et chronologique des dépôts de charbons de bois Plusieurs parties du système de chauffage de la résidence ont livré des charbons de bois (fig. 5) : – Le praefurnium situé à l’extérieur de la pièce 5 et son conduit de chauffe, implanté dans la pièce, – Le praefurnium de la pièce 1 et son conduit de chauffe. En tout, neuf localisations différentes ont été individualisées afin de restituer d’éventuelles hétérogénéités spatiales, peut-être révélatrices de variations dans les chargements de bois. En effet, on a affaire à des états d’abandon correspondant principalement aux derniers chargements de bois utilisés et non pas obligatoirement à la synthèse de nombreux feux. Étudier de telles « concentrations » a pour inconvénient d’enregistrer des aléas de dépôt, mais pour avantage de donner un aperçu des variations dans l’utilisation des essences. Le tableau de la figure 7 présente les identifications de 578 charbons de bois, classés en fonction des neuf localisations. Mais tous ces dépôts ne sont pas synchrones. – les dépôts ont été classés, de façon chronologique, de gauche à droite : période IIIa avec trois phases (10C1, 10C2 et 7oC1b), puis période IIIb avec une phase (7eB2). – pour chaque phase, les différentes localisations sont indiquées : celles liées à la pièce 5, puis à la pièce 1. 86 Figure 5. La uilla du IVe siècle et l’aile occidentale de la résidence chauffée par un réseau de canaux d’hypocauste, avec la localisation des prélèvements anthracologiques. (1 à 6, pièces de l’aile ouest ; 425, 676 et 677, les différents prélèvements réalisés). Figure 6. Vue du praefurnium et du canal d’hypocauste de la pièce 5, avec les vestiges de la dernière chauffe. Figure 7. Identifications des charbons de bois du système de chauffage (praefurnia, conduits de chauffe) de la uilla des Prés-Bas à Loupian (Hérault). Périodes IIIa – IVe siècle et IIIb – début du Ve siècle. Figure 8. Proportions des douze essences identifiées dans le combustible du système de chauffage de la uilla (périodes IIIa et IIIb), toutes les provenances spatiales étant globalisées. Lucie Chabal, Isabelle Figueiral, Christophe Pellecuer Pratiques de chauffage et bois de feu dans la uilla des Prés-Bas à Loupian (Hérault, France) 2.3. Diversité et espèces dominantes dans le combustible utilisé Ces résultats peuvent tout d’abord être définis globalement, afin de fixer la part relative de chaque espèce (fig. 8) : ainsi un minimum de 11 espèces a pu être identifié (12 taxons). Même si quelques pollutions liées aux unités stratigraphiques voisines ne peuvent être exclues, on n’observe pas d’exclusive, comme c’est aussi le cas pour la plupart des autres usages du bois dans l’Antiquité (tels que le combustible domestique, les fours de potiers, les fours domestiques, le charbonnage et la métallurgie...). Ici, toutes sortes d’essences sont utilisées, avec : – une majorité d’essences de la chênaie : le chêne vert, le chêne blanc, l’arbousier, le filaria ou l’alaterne, y compris de petits ligneux comme le pistachier lentisque, – des espèces alluviales (orme et frêne), – de très probables résidus de taille d’arbres fruitiers (olivier, vigne). – des conifères (également présents dans le combustible domestique de la uilla) qui étaient certainement très rares et localisés dans le paysage. Il s’agit du pin de type sylvestre, qui comprend plusieurs espèces possibles (peut-être le pin de Salzmann1), et de l’épicéa ou du mélèze (non distingués par leur bois), espèces qui ne sont pas adaptées à l’environnement littoral et qui proviennent plus probablement de l’intérieur des terres (par exemple, des Cévennes). Quoi qu’il en soit du caractère plus ou moins accidentel de la présence de ces essences dans le combustible (du bois d’allumage pouvant aussi s’y trouver), trois espèces dominent largement : – le chêne vert ou kermès, probablement le chêne vert (36%), – un orme, probablement l’espèce de basse altitude présente en Méditerranée, appelée orme champêtre (31%), – un « chêne à feuillage caduc », probablement le chêne blanc (ou chêne pubescent) (23%). – l’arbousier, qui est assez bien représenté (7%). On peut ensuite visualiser la répartition des trois espèces majoritaires (et de l’arbousier) dans les neuf localisations d’échantillonnage (fig. 9) : L’effectif des échantillons est variable et la comparaison quantitative ne doit pas être poussée trop loin. Néanmoins, les effectifs six fois compris entre 49 et 119 permettent des comparaisons. La plus forte représentation du chêne vert dans la pièce 1, ainsi que celle de l’arbousier, sont peut-être simplement liées au fait que ce sont les dépôts étudiés les plus récents. De ces quatre essences, le chêne vert et l’arbousier sont celles qui résistent le mieux aux coupes réitérées, et certainement les plus durables à l’état de taillis. Leur abondance relative pourrait donc être due à leur représentation croissante dans le temps, plutôt qu’à leur localisation dans la uilla. Quoi qu’il en soit, il ne semble pas exister de déterminisme évident dans l’usage préférentiel de l’une ou l’autre de ces essences, qui a pu enregistrer aussi des aléas d’utilisation, et on peut tenter de raisonner de façon globale sur l’utilisation majoritaire de ces quatre espèces. 2.4. Les raisons du choix des essences dominantes 87 Figure 9. Quatre principales essences du système de chauffage de la pièce 5 : répartition dans les neuf localisations de prélèvement des charbons de bois. 1. Le pin noir de Salzmann a un bois de même anatomie que le pin sylvestre et croît à une altitude légèrement inférieure. Il a actuellement une aire réduite, notamment sur les marges de la vallée de l’Hérault (SaintGuilhem-le-désert, bordure du Larzac). On considère qu’il a eu dans le passé une aire plus étendue qu’actuellement, expliquant peut-être l’identification récurrente de ce taxon à basse altitude durant la Protohistoire et l’Antiquité (Roiron et al. 2013). 88 2. C’est la combustion vive du bois dans la fournaise qui, produisant des flammes, crée une entrée de l’air du dehors, air qui se réchauffe dans la fournaise et va chauffer les conduits, pour s’évacuer par des cheminées. Le transfert de chaleur se fait donc par convection (air chaud), mais aussi par conduction (à travers le sol, les murs, etc.). À ce titre, seuls les combustibles produisant des flammes conviennent. Du charbon de bois n’aurait pas été un bon choix pour chauffer l’hypocauste, car ses braises fournissent une chaleur radiative (rayonnement, arrêté par le moindre obstacle) et conductive (transmise par un matériau conducteur), non convective. Figure 10. Combustible et pouvoir calorifique (d’après Chabal 1997, 2001 ; ThéryParisot 2001) A• Le « pouvoir calorifique supérieur » du bois est défini à 12% d’humidité (bois sec). C’est un bilan de chaleur, exprimé ici en kcal et rapporté à 1 kg de bois. Le graphique montre que : –  Le pouvoir calorifique du bois varie très peu avec l’espèce, notamment n’est pas du tout fonction de la densité du bois. À l’encontre des idées reçues, un bois léger par excellence, comme l’aulne, a un pouvoir calorifique très légèrement supérieur à celui du chêne, bois dense. Certains résineux ont un pouvoir calorifique légèrement supérieur, dû à la présence de résine, mais ceci n’est pas constant. – Le pouvoir calorifique de combustibles dits «nobles» est de deux à trois fois plus élevé que celui du bois. B• Le pouvoir calorifique chute avec le taux d’humidité du bois : à 80% d’humidité (bois fraîchement abattu, 700 kcal/kg), la même espèce voit son pouvoir calorifique divisé par 6 par rapport au même bois séché 20 mois sous abri (3 800 kcal/kg). Les différences de pouvoir calorifique entre espèces (à gauche) sont dérisoires au regard des différences dues au taux d’humidité (à droite). Le séchage préalable du bois, essentiel, est le principal facteur qui détermine son pouvoir calorifique. Lucie Chabal, Isabelle Figueiral, Christophe Pellecuer Quatre essences dominent dans le combustible du système de chauffage de la uilla. Pour quelle raison ? Deux facteurs, l’un lié à l’usage, l’autre à l’environnement, peuvent être successivement invoqués. Lors du chauffage dans un hypocauste, les besoins thermiques sont voisins de ceux du « petit feu » d’une cuisson dans un four de potier, qui élève progressivement la température du four. On cherche à obtenir des flammes2, mais une combustion durable et non des à-coups de chaleur. L’analyse de la notion de pouvoir calorifique des essences permet d’écarter les arguments liés aux propriétés physiques de telle ou telle espèce. Le facteur «  séchage du bois  est bien plus important que l’espèce, pour » caractériser le pouvoir calorifique du bois (fig. 10 et 11). Comment peuton alors expliquer la préférence accordée au chêne vert, au chêne blanc, à l’orme et à l’arbousier pour chauffer les conduits d’hypocauste ? La raison est que le chêne vert, le chêne blanc, l’orme et l’arbousier, quatre feuillus au bois dense, ont la propriété de tenir de façon durable le feu, et c’est précisément cette faible vitesse de combustion qui est appréciée chez les bois denses (les bois de chauffage étant généralement du chêne, hêtre ou charme). En chargeant un bois dense dans les fournaises, on récupère une grande quantité de calories sous un faible volume, et on sait qu’on obtiendra une grande durée de feu, sans à-coups. Cette propriété est liée à Pratiques de chauffage et bois de feu dans la uilla des Prés-Bas à Loupian (Hérault, France) 89 l’essence via sa densité (contrairement au pouvoir calorifique qui est à peu près égal chez toutes les espèces). Cependant, si les quatre essences majoritaires utilisées ont en effet la propriété de brûler plus lentement que les bois moins denses, cette propriété est totalement dépendante du calibre du bois (fig. 11). Un bois dense de petit calibre, ou refendu, brûlera aussi vite qu’une bûche d’un bois léger. En conséquence, les deux exigences d’un bon bois de chauffage pour l’hypocauste sont, d’une part une densité élevée du bois, d’autre part un assez gros calibre (8 à 15 cm, par exemple). Notons qu’il n’y a quasiment pas de différence de comportement au feu en ce qui concerne les quatre espèces préférentiellement utilisées. Le calibre effectif des bûches employées n’a pas pu être confirmé, les fragments étudiés, très petits, n’ayant pas permis de restituer les diamètres des tiges par mesure de courbure des cernes annuels de croissance. 2.5. Un approvisionnement en bois dans l’environnement de la uilla Figure 11. Les propriétés combustibles (d’après Chabal 1997, 2001 ; Théry-Parisot 2001) A• Le pouvoir calorifique, rapporté à la masse, varie très peu avec l’espèce et jamais selon sa densité. Les pouvoirs calorifiques à 12% d’humidité du peuplier et du chêne sont sensiblement égaux (cf. Encart 1). B• Mais c’est un volume que l’on met au feu : une bûche de chêne donne alors plus de calories qu’une bûche de peuplier, parce qu’elle est plus lourde à volume égal. C• En réalité, ce n’est pas la quantité de chaleur récupérée par kg de bois que nous percevons, mais la vitesse de combustion : le peuplier et le chêne ont des vitesses de combustion très différentes. Le peuplier flambe tandis que le chêne brûle à peu près trois fois plus longtemps. À calibre égal, la différence de comportement au feu est réelle, corrélée à la densité de l’espèce. D• Cependant, si elle est fragmentée, la bûche de chêne flambe et brûle à la même vitesse que celle de peuplier. E• Même à calibre égal, la dimension de temps inhérente à toute gestion du bois remet les deux espèces à égalité, puisque la vitesse de croissance des bois légers est plus grande que celle des bois denses. On obtient trois bûches de peuplier dans le même temps qu’une seule bûche de chêne vert. F• Et trois bûches de peuplier donnent la même quantité de calories et la même durée de feu qu’une bûche de chêne vert. Les vraies différences entre espèces concernent le volume de stockage, la gestion du feu et la récupération de la chaleur, fonction de la densité du bois et de son calibre qui déterminent sa vitesse de combustion. 90 Figure 12. Diagramme anthracologique de la uilla des Prés-Bas à Loupian (Hérault), (d’après Chabal et al. 2012). Lucie Chabal, Isabelle Figueiral, Christophe Pellecuer Le diagramme anthracologique de la uilla (Chabal et al. 2012) est construit à partir du combustible  issu des espaces domestiques, à partir d’une utilisation répétée dans la durée, entre le Ier siècle av. J.-C. et le Ve-VIe siècle (fig. 12). Les combustibles du système de chauffe n’y sont pas inclus. Cette synthèse permet d’obtenir une très bonne image du territoire d’approvisionnement en bois (Chabal 1997), qui offre un point de comparaison pour déterminer la provenance du combustible de l’hypocauste. Toutes les espèces du système de chauffage se retrouvent dans ce diagramme, mais pas dans les mêmes proportions. Pour toutes les périodes, le diagramme montre la représentation majoritaire du chêne vert (et ou kermès) dans l’environnement. Le chêne blanc, l’orme et l’arbousier ne sont que peu représentés, mais fournissent toutefois un fond continu, à partir de 50 ap. J.-C. Les divers pics de représentation (Anacardiacée, pin de type sylvestre, olivier), sont peut-être des aléas de dépôt ou d’utilisation. On remarque néanmoins l’abondance de l’olivier par rapport à d’autres sites languedociens, témoignant certainement de sa culture locale. La majorité du bois de feu est ainsi prélevée dans des taillis de chêne vert dominant accompagné d’autres essences (arbousier, filaria ou alaterne), ainsi que des résidus issus de fruitiers (olivier, vigne, noyer, ainsi que de Prunoïdées, tel le prunier), de Maloïdées (sorbier, aubépine ou pommier) et de quelques espèces de milieux alluviaux (frêne, orme, érable, tamaris). Localisé à un kilomètre de la uilla sur le rivage de l’étang de Thau, l’atelier de potiers du Bourbou en activité durant le Haut-Empire et au début du Ve siècle a donné des résultats similaires et le chêne vert y domine largement (Chabal et al. 2012). Dans l’Antiquité, les sols du territoire de la uilla étaient plus drainants qu’à l’âge du Bronze, et qu’actuellement, en raison d’une topographie côtière qui s’élève assez rapidement et de vallons drainants encore peu colmatés. La chênaie méditerranéenne était ainsi la végétation la mieux adaptée à l’environnement situé immédiatement au nord de la uilla. De plus, sous l’effet des coupes répétées, le chêne vert et les arbustes d’écologie voisine Pratiques de chauffage et bois de feu dans la uilla des Prés-Bas à Loupian (Hérault, France) (arbousier, filaria) finissent par supplanter complètement le chêne blanc qui rejette moins facilement de souche. Le chêne vert domine dès le début d’occupation de la uilla, peut-être en raison des occupations antérieures. Dans l’Antiquité, le chêne vert était régulièrement coupé, avec peut-être une révolution de coupe assez serrée, par exemple à 5 ans de rotation, pour satisfaire les potiers du Bourbou et la uilla3. Les plus gros brins de ces taillis de chêne vert, avec ceux d’arbousier, devaient être réservés aux systèmes de chauffage de la uilla, mais il n’y en avait pas suffisamment, ou leur calibre était insuffisant, ce qui a conduit les occupants de cet établissement à rechercher d’autres essences, alluviales. Où se trovait la forêt alluviale dont proviennent l’orme et sans doute le chêne blanc du système de chauffage ? Une telle forêt était bien représentée à l’âge du Bronze sur des sols de la rive nord de l’étang, aujourd’hui ennoyés par la remontée marine4. Cette forêt alluviale est aussi de nos jours la végétation potentielle du secteur aval, à tendance hydromorphe, qui ramène vers l’amont des espèces comme le frêne5. Mais dans l’Antiquité, elle devait être peu représentée. Néanmoins, des bosquets riches en orme et chêne blanc devaient occuper de rares secteurs, sur les terres alluviales en majorité déjà défrichées. Ces boisements alluviaux devaient exister de façon au moins localisée, tels ceux que l’on voit actuellement par exemple dans le secteur aval de l’Hérault (lit majeur). Ils devaient être riches en frêne oxyphylle, orme champêtre et sans doute aussi en chêne blanc6. De tels bosquets résiduels anciens, composés d’espèces alluviales, devaient être exploités pour l’hypocauste, avec des rotations de coupe assez longues, pour fournir d’assez gros calibres. L’apport de chêne blanc, voire d’orme, depuis des secteurs bien plus éloignés (moyenne vallée d’Hérault, arrièrepays montpelliérain, Causses) est envisageable.  En conclusion, on peut donc imaginer que l’on a davantage recherché des gros calibres, plutôt que des essences particulières. On en utilise d’ailleurs quatre. Si les habitants de la uilla n’avaient eu que des bois légers, assez rares dans notre région  limités aux berges des rivières (peuplier, et saule...), ils auraient pu les utiliser en choisissant de plus gros calibres et en rechargeant le feu plus souvent. C’est pourquoi, il faut relativiser ces « choix », qui correspondent plutôt à ce qui est disponible qu’à une réelle préférence. En fin de compte, il devait exister à la fois des choix liés à l’usage (calibres et bois denses) et des choix environnmentaux (utilisation des essences présentes localement).   3. La résidence du Ve siècle : une hiérarchie dans le confort des pièces Les appartements des années 400 se développent sur environ 600 m2 à l’angle d’un grand péristyle. Ils se composent de trois ensembles de pièces qui correspondent à autant de groupes fonctionnels (fig. 13). Une salle d’apparat dans l’aile nord-ouest — pièces A et A’ — se distingue comme un ensemble indépendant. Une grande salle triconque — pièces E, E’, D et K — et les pièces regroupées autour de cet espace exceptionnel de 160m2 —pièces B à G et I à L — occupent l’essentiel des appartements résidentiels. Trois pièces — pièces O, N et M —forment un espace plus indépendant à l’extrémité méridionale de l’aile sud-ouest. 3.1. Le brasero, un chauffage portatif largement utilisé La conservation des sols de la résidence la plus tardive, en l’occurrence des pavements de mosaïque, permet de proposer, à partir des traces laissées en surface du tesselatum, que le moyen de chauffage le plus courant, dans ces salles souvent grandes et hautes de plafond, est le brasero ou 91 3. Dans sa thèse sur les potiers galloromains, J.-P. Jacob, citant T. des Chesnes, écrit : « Les Romains connaissaient bien la différence entre futaie et taillis qu’ils appelaient Sylva caedua et qu’ils coupaient en général tous les cinq ans » (Jacob 1981, 50). 4. En témoignent, à proximité de Loupian, les restes paléobotaniques (pieux et carpologie) de sites ennoyés du secteur de Mèze : Montpenèdre, La Conque (Chabal et al. 2010, 2012). 5. L’accumulation sédimentaire dans les vallons des cours d’eau temporaires de ce secteur côtier est responsable de ces conditions édaphiques évoluant vers une humidité croissante. 6. Le chêne blanc existe dans la chênaie mixte, mais aussi pro parte dans la forêt alluviale car il est un peu plus exigeant en eau que le chêne vert. Actuellement, l’orme est décimé par un champignon, la graphiose, c’est pourquoi on voit surtout du frêne. 92 Figure 13. La résidence du Ve siècle, avec la dénomination des salles à pavement de mosaïque. Lucie Chabal, Isabelle Figueiral, Christophe Pellecuer le foyer portable. Celui-ci est bien attesté dans les demeures des classes supérieures, sous la forme d’objets ornementaux en métal, comme en témoignent les exemples pompéiens et des découvertes d’objets complets ou de pièces isolées dans les provinces gauloises (Daremberg/Saglio 1896, art. focus, 1196 ; art. brasero in Artefacts, http://www.artefacts.mom.fr). Pour cet équipement portatif, l’usage et donc la production de charbon de bois pourraient être envisagés, car celui-ci ne produit pas de flamme et peu de fumée et il dégage son énergie principalement sous forme radiative. De plus, sous un petit volume, il tient longtemps le feu et a un pouvoir calorifique supérieur à celui du bois (fig. 10). Cependant, il est possible d’envisager que le brasero soit alimenté en braises de bois déjà bien consumées, apportées depuis un autre foyer, par exemple depuis la cuisine. Les sources anciennes évoquent l’emploi d’un bois préparé — ligna acapna —, séché ou desséché, qui donnerait une combustion sans fumée (Daremberg/Saglio 1877, article acapna, 14). Lors de travaux de restauration des mosaïques de Loupian7, les traces laissées Pratiques de chauffage et bois de feu dans la uilla des Prés-Bas à Loupian (Hérault, France) par les braises sur le tesselatum ont été relevées de façon systématique (fig. 14). On écartera l’idée de stigmates laissés par un incendie ou des foyers de fortune, postérieurs à l’occupation résidentielle, pour deux raisons. D’abord, certaines de ces traces sont recouvertes par des chapes de béton de tuileau, coulées lors d’une phase de transformation des appartements à une date avancée dans le courant du Ve siècle, voire au siècle suivant. Ces travaux témoignent de la permanence de la fonction résidentielle, probablement dans un cadre domanial. Ensuite, l’analyse de la distribution de ces traces témoigne d’une réelle cohérence dans la localisation, plutôt au centre de la pièce ou bien le long des murs, qui indiquerait l’emploi de braseros, avec des espaces que l’on peut qualifier de « chauds » et d’autres de « froids » selon le nombre de ces auréoles noires relevées sur la mosaïque et leur densité en fonction de la surface de tesselatum conservé. Dans le groupe des salles les moins chauffées — soit au maximum 2 % de zones noircies —, l’exèdre de l’aile nord-est est manifestement la salle la plus « froide » — 0,9 et 1,2 % respectivement pour les pièces A et A’. Cette observation confirme le rôle de ce salon largement ouvert sur le péristyle et propice à une fréquentation estivale. On peut formuler les mêmes observations pour la pièce principale du triconque — pièce E dont la hauteur sous plafond devait être considérable et où le chauffage d’appoint n’est pas la priorité — et la pièce N qui joue un même rôle d’espace d’accueil, où l’on ne stationne certainement pas et qui ne demande pas à être chauffé. Parmi les pièces les plus «  chaudes  on peut ranger les absides, à », 93 7. Le relevé des surfaces brûlées sur les mosaïques loupianaises a été réalisé par Raymond Rogliano et Michel Compan, en charge de la restauration des pavements. Figure 14. Relevés des surfaces brûlées sur le tesselatum conservé dans chaque salle de la résidence. Les pièces où l’emploi du brasero a laissé le plus de traces sont les salles B, E’, M et O (rouge). L’abside K n’a pas conservé de vestiges de tessalatum. Les moins chauffées sont les salles A, A’, E et N (jaune). Les autres salles, C, I, J et L témoignent d’un usage plus modéré de ce type de chauffage portatif (orange). 94 Lucie Chabal, Isabelle Figueiral, Christophe Pellecuer l’exception de celle de l’exèdre — pièce A. L’abside majeure E’, dont le pavement repose pourtant sur un dispositif d’hypocauste, est riche en surfaces brûlées — 13 %. L’abside mineure D du triconque présente aussi de très fortes altérations — 11 %. La situation pouvait être identique pour l’abside symétrique K, où n’est conservée aucune trace de tesselatum. Le caractère particulièrement attractif des absides, pour le banquet ou d’autres activités de représentation sociale, est confirmé par la fréquence des traces observées dans l’abside O — 19 %. Deux salles, d’une cinquantaine de mètres carrés chacune — les pièces B et M —, montrent qu’elles ont connu une intense fréquentation : elles présentent respectivement 12 et 11 % de surfaces altérées par le feu. On peut les définir comme des pièces de vie. La dernière classe, dont les valeurs sont comprises entre 2,8 % et 7,5 %, regroupe les quatre pièces qui encadrent le triconque. Elles ne sont que faiblement chauffées et on a pu les identifier comme des chambres à coucher. 3.2. L’abside majeure chauffée par hypocauste L’abside majeure de la salle triconque — pièce E’ — est chauffée grâce à un système élaboré d’hypocauste à canaux (fig. 15), sans commune mesure avec les équipements de la période antérieure, dont la mise en œuvre est bien plus sommaire. L’unique foyer se trouve sur la façade occidentale. Il est protégé par un petit ouvrage en saillie, réalisé à l’aide d’éléments de grand appareil, des réemplois dont un bloc de couronnement de mausolée. Le canal principal, large de 1 m au maximum et profond de 0,6 m, est construit dans l’axe de la pièce semi-circulaire. Sa longueur est de 4,4 m. De ce conduit, partent six canaux secondaires, rayonnants et disposés de façon symétrique. Leurs longueurs sont décroissantes — de 3,3 m à 0,6 m — du fait de la courbure de la pièce. Les canaux secondaires débouchent sur un conduit vertical placé dans le mur de l’abside constitué de tubuli. Les canaux rayonnants, vu leur faible largeur, sont coiffés grâce à un système d’encorbellement de briques taillées, qui permet la pose d’une couverture de briques bipedales. La section la plus importante du canal principal a demandé la réalisation d’une suspensura. La mise en place de ce dispositif de chauffage, certainement coûteux et nécessitant l’intervention d’ouvriers spécialisés, contribue au caractère ostentatoire de la salle de réception. L’état de conservation exceptionnel de cet équipement, dont la couverture et les supports ne se sont pas effondrés, et l’absence de traces de forte rubéfaction sur les pilettes et les briques les plus proches du praefurnium, indiquent cependant un emploi modéré de ce mode de chauffage par le sol. L’abside majeure devait bénéficier d’un riche programme décoratif, dont témoigne la qualité du pavement de sol. L’abside s’ouvre par un bandeau au motif de rinceaux de cornucopiae, aux tons dominants dorés, dont l’étude a montré qu’il était réalisé selon le même carton et par le même atelier que celui de la uilla de Valence-surBaïse (Gers) (Balmelle/Lapart 1987). Des specularia peuvent être restituées en fond d’abside, donnant sur la façade ouest de la résidence, au pied de laquelle se sont accumulées d’importantes quantités de fragments de verre à vitre. 4. Le chauffage, parmi les signes de luxe et d’ostentation des élites Des braseros de bronze décorés, dont quelques témoignages ont été recueillis dans les uillae méridionales, doivent faire partie du mobilier luxueux des résidences rurales. Les propriétaires ont toutefois la possibilité de rechercher des solutions plus ambitieuses d’un point de vue technique, certainement plus efficaces que le chauffage portatif d’appoint, et qui Pratiques de chauffage et bois de feu dans la uilla des Prés-Bas à Loupian (Hérault, France) 95 Figure 15. Le système de chauffage de l’abside E’, avec canal central à hypocauste (ou chambre) et conduits rayonnants (étude N. Maurel). La conservation d’une grande partie de la couverture de briques n’a pas permis le relevé exhaustif du dispositif. Les pilettes sont figurées selon les divers modules du type « avec chapiteau formé de trois carreaux qui vont en s’élargissant » (selon Degbomont 1984, 100-101). peuvent avoir une forte signification sociale. La diversité des solutions retenues à Loupian, au cours du temps, montre que de véritables modes ont pu accompagner certains progrès techniques, et que l’on peut mettre en œuvre en fonction de cela des moyens financiers notables. L’adoption du système de l’angusta fenestra, peu ou prou à l’époque où celui-ci est décrit par un personnage tel que Pline le Jeune pour sa uilla des environs de Rome, est révélatrice de cet effet de mode et de la diffusion dans les provinces d’un modèle, certainement en vogue chez les membres des plus hautes classes de l’empire. De même, la généralisation des canaux d’hypocauste dans la résidence rénovée du IVe siècle relève d’une même attitude, mais là, les moyens du propriétaire loupianais ne semblent pas être à la hauteur de ses ambitions. Les expériences de reconstitution du fonctionnement du chauffage par hypocauste montrent que la mise en place de tels dispositifs demande un véritable savoir-faire technique pour le réglage de ces installations. La question du tirage, pour permettre une combustion dans la durée, sans embrasement, l’ignis languidus évoqué dans un passage de Stace (Silvae, I, 5, 58), demande une précise évaluation de la hauteur des cheminées (Degbomont 1984, 183). On ne peut douter de l’intervention d’une main d’œuvre spécialisée, qui vient gonfler la liste des corps de métiers sollicités pour la construction de la uilla. L’atelier domanial va fournir les matériaux nécessaires pour la réalisation des installations de chauffage. A Loupian, pour la période tardive, sont utilisés pour les conduits de chauffe des tubuli aux parois épaisses et aux croisillons incisés, produits dans la fabrique littorale. Les boisements du finage domanial offrent les ressources en combustible, sous réserve de diversifier le choix des essences et des milieux sollicités afin d’obtenir les calibres nécessaires à la tenue du feu. Le chauffage résidentiel participe à l’accroissement de la consommation dominée par les usages domestiques et artisanaux. Il n’est pas nécessaire cependant, ni peut-être possible, en termes de tenue au feu d’utiliser de façon significative d’autres formes de combustible ou même de faire appel aux sous-produits de culture (grignons, restes de taille de fruitiers, de 96 Lucie Chabal, Isabelle Figueiral, Christophe Pellecuer céréales…), comme cela est le cas pour des équipements énergivores dans des régions pauvres en couvert forestier (Bouchaud 2004; Morisson 2013, 785-787, 794-795). Malgré certains défauts techniques, les systèmes de chauffage développés durant chaque période ne peuvent aboutir qu’à un gain de confort pour les occupants de ces vastes salles d’apparat, hautes sous plafond. Plus que des performances élevées, ils doivent apporter une sensation de chaleur, avec un réchauffement des parois de la pièce, une température uniforme dans le volume chauffé, une qualité de l’air sans mauvaise odeur, sans tourbillon de poussières (Lehar 2012). L’utilisation des vitrages, outre sa fonction ostentatoire, contribue aussi à la régulation thermique, en laissant pénétrer l’énergie du rayonnement solaire et en concentrant la chaleur (Vipard 2009, 6). Cette recherche tout à la fois de luxe et de confort, constante dans l’histoire de la résidence, constitue un indice probant des séjours réguliers des propriétaires successifs, pour la pratique de l’otium, mais aussi pour veiller sur la bonne marche de leur entreprise agricole. This is ISEM contribution nº ISEM 2016-263. Bibliographie –BALMELLE, C., LAPART, J., 1987, La Mosaïque à décor de pampres de Valence-sur-Baïse (Gers). Aquitania, 5, 177-200. –BOUCHAUD, C., 2004, Gestion et utilisation des combustibles végétaux dans les structures thermales. 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